Conclave


Quand le pape décède de façon inattendue et mystérieuse, le cardinal Lawrence se retrouve en charge d’organiser la sélection de son successeur. Alors que les machinations politiques au sein du Vatican s'intensifient, il se rend compte que le défunt leur avait caché un secret qu'il doit découvrir avant qu'un nouveau Pape ne soit choisi. Ce qui va se passer derrière ces murs changera la face du monde.
Critique : "Le Devoir"
Lors d’une scène pivot de Conclave (V.F.), qui en regorge puisque le film est tout de retournements de situations construit, un cardinal déclare à un confrère que tous les hommes occupant leur fonction rêvent en secret de devenir pape. La suite donnera en bonne partie raison au premier, au grand dam du second : le cardinal Lawrence, qui est en l’occurrence le protagoniste. Ainsi, dans la foulée du décès subit du Saint-Père, Lawrence doit-il présider le conclave lors duquel les cardinaux nommeront à huis clos le prochain souverain pontife. Avec le cinéaste Edward Berger à la barre, ce qui aurait pu être une poussiéreuse joute oratoire entre vieux messieurs, se transforme en électrisant « thriller papal ».
Comme nous le confiait dans une récente entrevue le réalisateur du drame de guerre nommé aux Oscar À l’Ouest, rien de nouveau (All Quiet on the Western Front), l’inspiration pour sa mise en scène lui vint en revisitant les thrillers paranoïaques américains des années 1970, à commencer par Klute et The Paralax View (À cause d’un assassinat), d’Alan J. Pakula.
On retrouve une stylisation comparable dans la réalisation, mais toujours au service du sens et/ou de la tension. En cela que, à titre d’exemple, un angle marqué de prise de vue ne sera jamais là simplement pour l’effet, mais afin d’indiquer un rapport de force entre deux personnages, rendre l’un d’eux inquiétant, voire instiller une impression de déstabilisation chez le protagoniste, etc.
En une décision risquée, mais qui s’avère très payante, Edward Berger recourt en outre à une musique très présente et très ouvertement dramatique, composée par Volker Bertelmann. Moins bien intégré et modulé, cet apport musical aurait pu complètement déséquilibrer le film en lui donnant un côté grandiloquent. Or, c’est tout le contraire qui se produit : tandis que les révélations nous gardent en état d’alerte, ladite musique nous maintient sur le bout de notre siège.
Au sujet des développements : le scénario de Peter Straughan, tiré du roman du même nom de Robert Harris, est d’une redoutable efficacité. Pour mémoire, Straughan est derrière la brillante adaptation du roman de John le Carré Tinker Tailor Soldier Spy (La taupe). Ici, le scénariste tisse un mystère non pas de la foi, mais de la mauvaise foi, autour des thèmes centraux de l’ambition et de la soif du pouvoir.
Et dans ce grand mystère, grenouillent une kyrielle d’aspirants papes impartis chacun d’une sous-intrigue : n’en jetez plus, le bénitier est plein. Blague à part, c’est d’une précision irréprochable : il y a une mécanique horlogère à l’oeuvre.
Turpitudes cléricales
S’il fallait trouver un film parent, Le nom de la rose, de Jean-Jacques Annaud, d’après le roman d’Umberto Eco, constituerait un bon choix. Conclave, comme Le nom de la rose, met au jour les mécanismes peu reluisants de la « machine » religieuse, puis transforme ces mécanismes en moteurs de suspense. Dans les deux oeuvres, on atteint un bel et rare équilibre entre érudition et trépidation.
Comme celui d’Annaud encore, le film de Berger distille l’information en privilégiant le seul point de vue du protagoniste : le public n’en sait pas plus que le héros. Avec lui, on subodore magouilles, complots et trahisons : autant de péchés de vénérables hommes d’Église qui seront parfois confessés, mais le plus souvent, découverts puis niés.
Face aux turpitudes de ses pairs, le cardinal Lawrence entend mener le processus à son terme vaille que vaille, dans les règles de l’art. Dans la balance : la probabilité d’un prochain pape ultraconservateur, et l’espoir, mince, d’un réformiste plus ouvert. Métaphore politique, il y a.
Dans la bouche d’acteurs brillants comme Stanley Tucci et John Lithgow, les copieux dialogues deviennent électrisants.
C’est toutefois Ralph Fiennes qui domine le film, dans le rôle du tourmenté cardinal Lawrence. Entre ce que le personnage projette en public, et ce qu’il laisse deviner en privé, le contraste est immense : unissant ces deux extrêmes avec une aisance et un naturel confondants, la vedette des films Schindler’s List (La liste de Schindler), The English Patient (Le patient anglais) et de la saga Harry Potter livre ce qui est peut-être la plus remarquable performance de sa carrière.
En définitive, Conclave démontre de manière éclatante que si les voies du seigneur sont impénétrables, celles des hommes sont en revanche peu édifiantes.